Le projet de recherche en santé publique d’un groupe pluridisciplinaire (sociologues, géographes, médecins du travail, oncologues, généralistes, assistante sociale, cadre de santé), tout d’abord classé « priorité 1 » par la commission de sélection de l’appel à projets, a finalement été rejeté sans justification par les pouvoirs publics, ou par des justifications plutôt scandaleuses comme dans la réponse du ministère de l’agriculture publiée ci après. N’hésitez pas à faire circuler et à interpeller les ministères concernés.
Ci après le courrier joint qui a été envoyé le 10 octobre 2016 aux ministres de l’Agriculture, de la Santé, du Travail, de l’Environnement et de la Recherche, par un groupe de recherche confronté à un refus de financement d’un projet de recherche en santé publique. Voici quelques éléments pour permettre de mieux comprendre le contexte de cette lettre. Les effets pathogènes – et en particulier cancérigènes – de nombreux pesticides, toujours en usage, sont aujourd’hui connus, ce que confirment plusieurs expertises scientifiques laissant peu de place au doute (dont celles de l’Inserm en 2013 et de l’ANSES en 2016). Or, alors même que la toxicité des substances est connue, les maladies liées aux pesticides demeurent très largement invisibles, et l’usage de ces produits dangereux se poursuit. Face à ce constat, l’une des principales préconisations figurant dans ces rapports est le besoin de connaissances sur les expositions professionnelles et environnementales aux pesticides, en situation réelle, tout au long des parcours professionnels et de l’histoire résidentielle des personnes exposées, surtout si elles sont victimes de maladies connues pour leurs liens avec les pesticides, dont, notamment, les maladies hématologiques. Partant de l’inquiétude des médecins oncologues/hématologues du Centre hospitalier d’Avignon devant l’augmentation importante, au cours des dernières années, des nouveaux cas de cancers hématologiques (lymphomes, myélomes, leucémies) dans leur bassin de population, un groupe pluridisciplinaire (sociologues, géographes, médecins du travail, oncologues, généralistes, assistante sociale, cadre de santé) s’est constitué pour engager une démarche d’étude des parcours professionnels et résidentiels des patients de ce service, dans le double objectif d’identifier les expositions à des cancérogènes connus en vue de la prévention et de faciliter l’accès des patients aux droits de la réparation en maladie professionnelle. Soumis pour financement dans le cadre de l’appel à projet Ecophyto II (http://agriculture.gouv.fr/sites/mi...) et tout d’abord classé « priorité 1 » par la commission de sélection de l’appel à projets, ce projet a finalement été rejeté sans justification. D’où la lettre jointe dans laquelle nous demandons quels ont été les critères d’élection des projets. Ce qui nous apparaît comme une censure politique de notre projet, lève un coin du voile sur les conditions de production de connaissances scientifiques en santé publique en France. Non seulement les moyens de la recherche publique ne sont pas à la mesure des enjeux, tels que rappelés dans les rapports cités, mais l’attribution des moyens existants se fait de façon opaque. Merci d’en faire une large diffusion afin d’attirer l’attention de tous sur la réalité du maintien dans l’ignorance des graves conséquences de l’usage de substances toxiques employées en agriculture. Cordialement Pour le groupe de recherche Annie Thébaud-Mony (06 76 41 83 46) Moritz Hunsmann (06 69 20 30 21)
LETTRE OUVERTE AUX MINISTRES
Groupe de recherche pluridisciplinaire responsable du projet d’étude « Identifier les expositions professionnelles et environnementales aux cancérogènes des patients atteints de cancer hématologiques pris en charge au Centre Hospitalier d’Avignon » Contact :
Annie Thébaud-Mony & Moritz Hunsmann Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS, UMR8156 - U997) 190-198 avenue de France 75244 Paris cedex 13 Paris, le 10 octobre 2016
à Monsieur Stéphane Le Foll Ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt Madame Ségolène Royal Ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer Madame Marisol Touraine Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes Madame Myriam El Khomri Ministre du travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social Madame Najat Vallaud-Belkacem Ministre de l’Éducation, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Monsieur le ministre, Mesdames les ministres,
Nous nous permettons de vous adresser ce courrier suite au refus du financement d’un projet d’étude pluridisciplinaire - « Identifier les expositions professionnelles et environnementales aux cancérogènes des patients atteints de cancers hématologiques pris en charge au Centre hospitalier d’Avignon : le cas des expositions aux pesticides (présenté sous le sigle CAN EXPO PEST) – soumis pour financement en juillet 2016 en réponse à l’appel à projets Ecophyto II. Ce projet s’inscrivant dans les priorités affichées des plans concernant la santé, le travail et l’environnement, nous avons considéré nécessaire d’adresser cette lettre non seulement à vous, Monsieur le ministre de l’Agriculture, en charge de l’application du Plan Ecophyto, mais plus largement à vous, Mesdames les ministres, qui avez en charge respectivement la Santé, l’Environnement, le Travail et la Recherche scientifique. Comme vous le savez, le Sénat, l’Inserm, les Plans Santé-Travail III et Santé- Environnement III, ainsi que le récent rapport d’expertise collective de l’ANSES, expriment de façon insistante et convergente l’urgence d’une meilleure connaissance des lieux, pratiques et conditions d’exposition professionnelle aux pesticides, en situation réelle de travail et dans a durée. Cette préoccupation fait écho à des tendances très inquiétantes de croissance des épidémies de cancers, d’atteintes reproductives et neurologiques. En tant que chercheur-e-s en santé publique et santé au travail, cette situation nous interpelle. C’est la raison pour laquelle, nous avons été amené e-s à répondre ensemble aux demandes d’une équipe hospitalière à Avignon.
En effet, les médecins (cliniciens, anatomopathologistes et biologistes) s’inquiètent de la forte augmentation des cas d’hémopathie maligne (lymphomes, leucémies et myélomes) diagnostiqués dans le bassin de population du Vaucluse, en particulier parmi des actifs travaillant en agriculture, et pris en charge par le service d’Oncologie-Hématologie du Centre Hospitalier d’Avignon. Nous avons élaboré un programme de recherche pluridisciplinaire (sciences sociales, sciences de la vie) en coopération avec les cliniciens (onco hématologues, médecins du travail, généralistes), dont un volet concerne plus particulièrement l’identification des expositions professionnelles aux pesticides dans les parcours professionnels (et résidentiels) des patients. C’est ce volet qui fait l’objet de notre réponse à l’appel à projets Ecophyto II. Ce projet répond à ce que l’expertise collective Inserm met au rang des priorités absolues en matière de besoins de connaissance de l’exposition aux pesticides tout au long des parcours professionnels des travailleurs exposés, démarche que nous proposons de compléter par la prise en compte des expositions environnementales, à travers la reconstitution des parcours résidentiels des patients. Dans le cadre de ce projet, la création d’un groupe d’expertise des parcours professionnels et résidentiels est prévue, comportant des spécialistes de l’exposition aux substances toxiques (toxicologues, ergo-toxicologues, ingénieurs de prévention), de l’organisation du travail et des parcours professionnels (sociologues), ainsi que des personnes ayant l’expérience de l’exposition (agriculteurs en activité ou à la retraite, médecins du travail). Ce projet a été présenté en juillet 2016 dans le cadre de l’appel à projets Ecophyto II, axe III, action 13 : « Evaluer et maîtriser les risques et les impacts : mieux connaître les expositions ». Fin août, il nous a été indiqué par l’association Phyto-victimes, destinataire du classement des projets ayant été examinés, que notre projet était classé « priorité 1 ». Puis nous avons appris, toujours via l’association Phyto-victimes (qui en a été informée par le ministère de l’Agriculture), que notre projet était finalement déclassé au terme d’arbitrages sur lesquels aucune information précise ne nous a été donnée. Cette décision nous a surpris d’autant plus que le document de synthèse du ministère de l’Agriculture adressé fin août à l’association Phyto-victimes indiquait que les moyens financiers alloués à l’action 13 de l’appel à projets étaient suffisants pour financer tous les projets classés « priorité 1 » et que dans les deux scenarii financiers proposés, notre projet était financé dans son intégralité. Suite à une tentative infructueuse de contact au ministère de l’Agriculture pour obtenir des informations avant avis définitif, le rejet de notre projet nous a été signifié le 28 septembre 2016 par un message électronique circulaire émanant du Secrétariat permanent du plan Ecophyto, message non signé et sans motif spécifique de refus (voir PJ). Ce refus suscite de notre part des interrogations sur le processus d’évaluation de projets correspondant à une priorité affichée des plans évoqués ci-dessus. S’agissant de travaux pluridisciplinaires, l’approche proposée dans notre projet d’étude a-t-elle été examinée par un comité d’expertise composé d’experts – indépendants – issus des différentes disciplines représentées dans l’équipe présentant le projet ? Si oui, nous souhaitons obtenir l’évaluation et les critiques émanant du comité d’expertise des projets, afin de comprendre pourquoi, après classement, notre projet a été déclassé. S’agit-il de critiques ou questions concernant les objectifs, les hypothèses et méthodes de travail décrites dans le projet ? En ce cas, elles nous seraient utiles dans la perspective de nouvelles demandes de soutien financier. Si non, nous demandons la réponse aux questions que nous nous posons quant à la rigueur et l’impartialité des choix effectués : quelles ont été les modalités d’examen des dossiers ? Par qui ? Selon quels critères ? Quels sont les projets retenus ? Comment ont été opérés les choix d’attribution budgétaire à chacun d’entre eux ?
Compte tenu du travail qu’exige des chercheurs la réponse aux appels à projets, il nous paraît légitime d’obtenir des réponses aux questions que nous nous posons. En effet, avec ce projet, notre équipe de recherche répond à une demande sociale cruciale, et jusqu’à présent non prise en compte en santé publique, celle de la mise en visibilité des pathologies liées aux pesticides. En l’absence de toute justification scientifique précise des raisons de ce refus, celui-ci nous apparaît comme une décision de nature politique qui, malheureusement, contribue au maintien de l’invisibilité des maladies liées à l’exposition professionnelle et environnementale aux pesticides. Cette décision repousse d’autant la production de connaissances nécessaires à la mise en oeuvre d’une politique de prévention et de réparation, dont les rapports de l’ANSES et de l’INSERM soulignent l’impérieuse nécessité.
Nous sommes à votre disposition, Monsieur le ministre, Mesdames les ministres, pour des informations complémentaires sur nos préoccupations concernant la gravité des impacts sanitaires des pesticides, nos travaux et projets de recherche, ainsi que sur les difficultés rencontrées par nos laboratoires dans la prise en charge financière de travaux scientifiques répondant aux besoins de production de connaissances sur des enjeux de santé aussi critiques que les cancers associés à l’exposition aux pesticides. Vous remerciant de l’attention que vous voudrez bien porter à nos demandes, nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération.
Signataires,
SLAMA, Borhane Médecin, praticien hospitalier, chef du service d’Oncologie-Hématologie, Centre Hospitalier d’Avignon
HUNSMANN, Moritz Chargé de recherche CNRS, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux Sociaux, Paris (IRIS, UMR 8156)
THEBAUD-MONY, Annie Directrice de recherche honoraire INSERM, Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les Enjeux Sociaux, Paris (IRIS, UMR 8156) et Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine Saint-Denis (GISCOP 93), Université paris 13 Bobigny
DECOSSE, Frédéric Chargé de recherche CNRS, Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, Aix-en- Provence (LEST, UMR 7317)
BOUFFARTIGUE, Paul Directeur de recherche CNRS, Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, Aix-en- Provence (LEST, UMR 7317)
LYSANIUK, Benjamin Chargé de recherche CNRS, Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique, Paris (PRODIG, UMR8586), et directeur du Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine Saint-Denis (GISCOP93), Université Paris 13, Bobigny
DURAND, Cécile Chargée d’études, Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail, Aix-en-Provence (LEST, UMR 7317) / Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle en Seine Saint-Denis (GISCOP93), Université Paris 13 Bobigny
CLOAREC Nicolas Médecin, service d’Oncologie-Hématologie, Centre Hospitalier d’Avignon BESSE, Christelle Cadre de santé, coordinatrice du groupe de travail "cancer et travail", service d’Oncologie- Hématologie, Centre Hospitalier d’Avignon
ARMAND RASTANO, Églantine Assistante sociale, service d’Oncologie- Hématologie, Centre Hospitalier d’Avignon
LAMBERTIN, Mireille Médecin généraliste, Pôle santé de Vedène (84) DE LABRUSSE, Benoît Médecin du travail, Avignon
LE MEUR, Brigitte Médecin du travail, Avignon
REPONSE DU MINISTERE DE L’AGRICULTURE
"Ecophyto"
Bonjour,
Vous avez soumis le projet "CAN EXPO PEST" à l’appel à projets national Ecophyto II lancé le 27 mai 2016 et se clôturant le 4 juillet 2016.
145 projets ont été reçus pour un montant total de subventions sollicitées de 15.5 millions d’euros. L’enveloppe prévue étant de 3.975 millions d’euros, un important travail de sélection des projets reçus a été nécessaire.
Nous avons le regret de vous informer que ce projet n’a pas été retenu dans le cadre de cet appel à projets.
D’une façon générale, les raisons justifiant le refus d’un projet ont pu être les suivantes :
l’enveloppe financière disponible de l’appel à projets était insuffisante pour permettre le financement de ce
projet, d’autres projets ayant été jugés prioritaires ou plus novateurs au regard des enjeux et actions du plan
Ecophyto II, ou l’analyse des enjeux et des besoins des acteurs n’étaient pas suffisante pour estimer son caractère
prioritaire ;
les impacts prévisibles du projet n’étaient pas suffisamment détaillés, en particulier en termes de réduction de
l’utilisation des produits phytopharmaceutiques envisageable ou de diminution attendue des risques et impacts
associés à leur utilisation ;
le projet a été jugé non abouti ou non finalisé, nécessitant davantage de précisions dans la méthodologie ou
dans la mise en oeuvre envisagées ;
le projet ne prévoyait pas suffisamment de partenariats ou d’interactions avec les acteurs des domaines
concernés
;
la valorisation du projet ou de ses résultats n’est pas apparue suffisante, les résultats attendus ont été jugés peu
opérationnels ou peu généralisables ;
la portée du projet paraissait trop limitée quant à ses publics cibles ;
le projet était de portée régionale et relève à ce titre des appels à projets régionaux.
Un nouvel appel à projets national Ecophyto II sera lancé au cours de l’année 2017.
Par ailleurs, des dispositifs régionaux Ecophyto II ont également été lancés cette année. Nous vous invitons à vous rapprocher des agences de l’eau, des services de l’État en région et des Conseils régionaux pour en
connaître les modalités.
Cordialement,
—
Secrétariat permanent du plan Ecophyto
Sous Direction de la qualité, de la santé et de la protection des végétaux
Direction générale de l’alimentation
Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt
251, rue de Vaugirard
75732 Paris cedex 15